
Campement Notre-Dame. Crédit photo : François Roy, archives de La Presse.
Les campements qui abritent des personnes en situation d’itinérance sont de plus en plus nombreux et visibles à Montréal. L’un des plus connus, situé sur la rue Notre-Dame Est, dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, illustre de manière saisissante l’ampleur croissante de la crise de l’itinérance qui sévit à l’échelle de la province.
Le 5 juin dernier, les personnes habitant ce campement ont reçu un avis d’éviction leur enjoignant de quitter les lieux au plus tard le 10 juin, sans qu’aucune solution de relogement ne leur soit proposée. Ce sont 30 personnes marginalisées et vulnérables — dont plusieurs vivent avec des troubles de santé mentale ou de consommation — qui ont ainsi été sommées de quitter les lieux dans un délai de 5 jours, sous peine de voir leurs effets personnels jetés sans autre préavis.
Face à cette situation, la Clinique juridique itinérante a rapidement déposé une requête d’urgence visant à suspendre le démantèlement du campement, qui a été accordée par la Cour supérieure le 18 juin. Cette décision du juge Babak Barin s’inscrit dans une tendance que l’on constate de plus en plus dans la jurisprudence hors Québec : lorsqu’il n’existe pas de solutions de rechange adéquates permettant le relogement, les évictions des campements doivent être suspendues afin de protéger les personnes qui y vivent. Et à Montréal, les ressources d’hébergement d’urgence œuvrent, rappelons-le, au maximum de leur capacité tout au long de l’année.
Ainsi, le tribunal imposait au ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec l’obligation de cesser les démarches de démantèlement pour une période de 10 jours. L’injonction provisoire est renouvelable pour des périodes additionnelles de 10 jours, à la discrétion de la cour.
Contrairement à ce qui s’est produit lors de plus de 400 évictions de campements qui ont eu lieu dans la Ville de Montréal en 2024, ce sursis temporaire offre un répit à la communauté vivant aux abords de la rue Notre-Dame Est. Les organismes communautaires qui œuvrent dans le secteur de l’itinérance réitèrent que le démantèlement de campements, en l’absence de solutions concrètes, ne fait que déplacer le problème. Il compromet également les liens de confiance établis entre les intervenant·e·s et les personnes en situation d’itinérance. Or, ces liens sont essentiels pour amorcer un processus de réaffiliation sociale.
Que faire, alors ? Montréal doit s’inspirer des meilleures pratiques et moderniser son approche, en établissant, par exemple, des protocoles d’intervention clairs et efficaces. Un rapport publié en janvier dernier par un comité d’experts (dont j’étais membre) créé par la Ville de Montréal et présidé par son ancien commissaire à l’itinérance recommandait d’ailleurs l’adoption d’un tel cadre réglementaire unifié à l’échelle de tous les arrondissements. Sa raison d’être serait d’encadrer, de manière temporaire et tolérante, la présence de campements, tout en assurant le déploiement des services essentiels directement sur place. L’objectif : améliorer les conditions de vie des personnes qui y résident et favoriser leur accompagnement vers des solutions durables de relogement. Le rapport présente 15 pistes d’action concrètes qui font l’objet d’un large consensus, et appelle à un leadership partagé entre les autorités municipales et les CIUSSS.
Il faut entre autres créer une équipe d’intervention multifonctionnelle en espace public (E-MEP) qui pourra établir des liens avec les résident·e·s des campements. Elle pourra évaluer leurs besoins et préparer, en collaboration avec les personnes visées, un plan de sortie, tout en assurant que leurs besoins immédiats d’hygiène et de santé sont assouvis.
Le jugement du 18 juin dernier envoie un message clair : les campements ne devraient pas être démantelés sans offre alternative, et l’itinérance doit être abordée avec humanité, rigueur et vision. Il revient désormais aux gouvernements, aux institutions publiques et aux acteurs et actrices communautaires de transformer ce moment en levier de changement. Ensemble, nous devons bâtir des réponses durables, inclusives et respectueuses des droits fondamentaux, afin que chaque personne puisse retrouver un ancrage, une dignité et une place dans la communauté.
James Hughes
Président et chef de la direction, Mission Old Brewery